Fais un effort !


De nos jours, on en sait un peu plus sur l’autisme, mais si peu, que dans le meilleur des cas, on sait que l’autisme n’est pas une maladie. Bien sûr, c’est un premier pas important de le savoir. Cependant, c’est loin d’être suffisant. Pire encore, utiliser ce fait pour considérer qu’une personne autiste n’a qu’à s’adapter aux autres et lui demander de « faire des efforts », c’est non seulement ne rien comprendre à ses difficultés, mais également nier les efforts qu’elle fournit déjà.
Car si l’autisme n’est pas une maladie, est-ce que ça veut dire pour autant qu’il n’y a pas de problème ? Que l’on est diagnostiqués « autiste » pour que dalle ? Que les années d’errances médicales pour avoir ce diagnostic et les dossiers à rallonge envoyés à l’administration pour obtenir la moindre aide ou reconnaissance nous les faisons juste pour notre propre plaisir ? Parce que ça nous amuse ?
Évidemment que non. Le problème, c’est que même si l’autisme n’est pas une maladie mais une simple différence neurologique, il devient bien souvent un handicap. Et le verbe « devenir » est important ici. Car oui, la personne autiste naît, est, et restera autiste toute sa vie, c’est un fait. Cependant, elle ne naît pas handicapée. Uniquement autiste. Le handicap, il vient avec l’âge, avec l’entourage, et avec la pression d’une société dans laquelle il n’est pas bien vu d’être différent des autres.
Car dès l’enfance, dès l’entrée en maternelle et parfois même avant, nous attendons de nos enfants qu’ils agissent d’une certaine façon. Dès l’enfance, nous leur apprenons à rentrer dans des moules qui ne leur conviennent pas forcément. Pour les petits autistes, certains y parviendront plus ou moins bien, pourront parfois même aller dans une école « normale », avec plus ou moins d’aides. D’autres, notamment les autistes non verbaux, seront incapables de masquer suffisamment leurs différences, seront rapidement étiquetés puis mis à l’écart, car incompatibles avec nos vies bien trop normées.
Pourtant, les personnes autistes sont des personnes comme les autres. Ils ont des droits comme les autres, droits qui ne sont pas toujours respectés. Ces autistes-là, ceux qui sont cachés aux yeux du public, vous ne les verrez pas souvent, ou uniquement dans les films.
Un peu comme les autistes « de haut niveau », ces fameux petits génies tant appréciés des séries télévisées. Oui, certains autistes ont une mémoire remarquable et/ou autres capacités extraordinaires. Ils existent et participent parfois grandement aux avancées de notre société.
La plupart des gens connaissent désormais ces deux facettes de l’autisme. Ceux qui sont cachés et ceux qui sont mis en lumière. Encore une fois, c’est un premier pas, mais un premier pas bien insuffisant. Car ces deux facettes ne forment qu’une petite partie de la population autistique. On parle rarement de tous les autres, c’est-à-dire de la grande majorité.
C’est d’une partie de cette grande majorité dont je souhaiterais plus particulièrement vous parler aujourd’hui. Celle dont je fais partie. Celle qui masque. Car des personnes autistes, vous en avez probablement dans votre entourage sans le réaliser. J’aimerais que vous le sachiez, et que vous y prêtiez plus attention.
Ces personnes autistes, pour la plupart, vous ne les remarquez pas vraiment parce qu’elles se cachent, parce qu’elles donnent tout pour vous ressembler et être acceptées. Elles ont le choix entre respecter vos codes et souffrir, ou ne pas les respecter et risquer le rejet. Et quand je parle de codes, je ne parle pas du Code de la route ni du Code civil. Je parle de toutes ses lois non écrites que la plupart des gens utilisent chaque jour sans même y prêter attention.
Ces autistes-là, ce sont ceux qui sont étiquetés « bizarre », « un peu sauvage », « pas très poli », « froid », « associable », « timide », « flemmard », et autres caractéristiques pas toujours très sympathiques. À ceux-là, on leur permet de vivre en société à condition qu’ils ne débordent pas trop. Parce que vous voulez bien supporter un peu de bizarreries, mais il ne faudrait pas exagérer.
Ces personnes, dont vous vous êtes peut-être moqués « gentiment » (mais réfléchissez, comment une moquerie peut-elle être gentille ?), vous les voyez peut-être comme étranges, car légèrement différentes de vous, et pourtant, vous ne les voyez pas totalement, vous êtes à des années-lumière de les voir réellement. Car le peu que vous remarquez de différent, c’est la partie émergée de l’iceberg. La plus grosse partie est immergée, cachée aux yeux des autres, au prix de grandes souffrances pour la personne autiste. Et malgré tout, vous ne cessez de leur demander des efforts, encore plus d’efforts.
Cette façon de pousser les autistes à faire toujours plus d’efforts est cruelle et inhumaine.
Car à force de répéter à cette petite fille « pourquoi tu ne parles pas ? », alors peut-être que cette petite fille apprendra à parler, qu’elle parlera souvent trop, sera très anxieuse de ses paroles lâchées désormais sans le vouloir et souffrira par la suite d’une anxiété chronique, ressassant et regrettant chaque parole prononcée. Oui, elle sera parfois ainsi mieux acceptée par ses pairs. Mais à quel prix pour elle-même ? Lorsque vous parlez de la pluie et du beau temps, cela ne vous coûte rien pas vrai ? Alors que lorsque cette jeune fille devenue adulte parle de la pluie et du beau temps, elle dépense une énergie folle à utiliser ce langage verbal qu’elle déteste au point d’avoir souhaité pendant des années être née muette. Elle dépense une énergie sans doute incompréhensible pour qui ne le vit pas, pour simplement parler de ce sujet qui ne l’intéresse pas le moins du monde. Pour vous faire plaisir, pour être acceptée.
Et à force de dénigrer ce petit garçon, en lui disant qu’il devrait faire des efforts et arrêter de se balancer comme un âne sur sa chaise et de taper dans ses mains pour un rien. Qu’il dérange la classe. Peut-être y parviendra-t-il également, à mieux maîtriser ses gestes qui lui sont pourtant aussi naturels que nécessaires. Mais à quel prix pour lui-même ? Ne pas pouvoir être soi-même, se sentir rejeté dès lors qu’il n’agira pas « comme les autres » ? Parfois même – souvent - avec du harcèlement pour ridiculiser et nier ce qu’il est fondamentalement. Que deviendra ce garçon qui devra choisir entre fuir ses pairs pour rester lui-même ou se cacher tellement bien qu’au bout de quelques années il ne saura même plus qui il est ?
À force de demander à cette petite fille « pourquoi tu ne souris jamais ? », peut-être qu’elle apprendra à sourire un jour. Qu’elle parviendra, au prix de grands efforts, à sourire même tous les jours. Que ce jour soit un jour de joie ou un jour de peine, cette petite fille continuera de sourire. Et si la plupart du temps, cela passera inaperçu, de temps en temps, on la trouvera bizarre, de sourire lorsque c’est inapproprié, de sourire tout en pleurant. C’est que le masque, une fois bien accroché, est difficile à faire tomber.
Puis à force d’expliquer à ce petit garçon qu’il exagère, qu’il ne devrait pas pleurer pour un rien, que la musique n’est pas si forte, que cette étiquette sur son t-shirt ne va pas lui arracher la peau. Peut-être qu’il finira par arrêter de s’en plaindre. Que lui-même ne remarquera même plus ces blessures permanentes. Qu’il fera tout son possible pour supporter, encore et encore, tout ce qui l’agresse, minute après minute, heure après heure, jour après jour. Et que le jour où il se retrouvera à avoir envie de mourir, il ne comprendra même pas pourquoi. Pourquoi serait-il en dépression ? Il n’y a pas de raisons ?
Beaucoup trop d’enfants autistes sont ainsi poussés au masquage dès leur plus jeune âge. Parfois pendant de nombreuses années, parfois jusqu’à l’âge adulte. Jusqu’au moment où ça ne tient plus, ou la petite goutte de trop fait que tout s’écroule autour d’eux. Qu’ils ne peuvent plus rien supporter, car ils ont déjà supporté bien plus que vous ne pouvez l’imaginer.
L’autisme n’est pourtant pas une maladie. Nous ne sommes pas contagieux. Alors qu’est-ce que ça peut te faire si je te dis bonjour avec un signe de la main au lieu de te faire la bise ? Tu n’en souffres pas que je sache ? Qu’est-ce que ça peut te faire si je préfère travailler en silence et ne pas prendre de pause-café ? Ce n’est pas parce que je ne t’aime pas, arrête ton égocentrisme, c’est parce que sinon je serais épuisée dès dix heures du matin. Qu’est-ce que ça peut te faire si j’ai mis du temps à comprendre que ta question quotidienne « comment ça va ? » n’était que théorique et que je ne devais pas y apporter une réponse réelle ? Elle est où la logique de cette norme sociale ? Qu’est-ce que ça peut te faire si j’ai du mal à te regarder dans les yeux quand tu me parles ? Le plus important c’est que je t’écoute non ? Qu’est-ce que ça peut te faire si je ne sais pas mentir et refuse de falsifier ce document officiel ? Je suis honnête, et alors, ce n’est pas une tare.
Qu’est-ce que cela peut te faire si je suis différente, tant que ça ne te fait pas de mal ?
L’autisme n’est pas une maladie et pourtant, il est un handicap important dans notre société actuelle. Dans notre société aveugle et fermée aux différences, l’autisme est un handicap que l’on dit « invisible », et qui cependant, j’en suis persuadée, pourrait être évitable pour beaucoup plus d’entre nous. L’autisme ne serait pas un handicap si chaque personne dans notre entourage acceptait les différences d’autrui et laissait les personnes autistes être elles-mêmes dans leur entièreté.
Car si j’ai cité dans ce texte quelques exemples concrets, il faut savoir que tout comme n’importe quel être humain, chaque personne autiste est différente. Chaque personne autiste possède ses propres caractéristiques, ses propres forces et faiblesses, ses propres hypo ou hypersensibilités.
Si nous nous entraidions. Si nous apprenions à mieux nous comprendre. Si au lieu de laisser les personnes handicapées faire tous les efforts, la société faisait également de vrais efforts de son côté. Si chacun d’entre vous, qui me lisez actuellement, vous pouviez faire quelques pas dans la bonne direction, dans la direction d’une meilleure compréhension. Si tous ces efforts que la personne autiste fait jour après jour pouvaient être non seulement reconnus, mais également partagés entre tous. Si seulement elle n’était plus seule à vouloir s’intégrer, mais que les autres aussi faisaient des efforts pour l’accepter. Si nous faisions chacun quelques pas l’un vers l’autre, au lieu de laisser nos différences nous empêcher de nous rejoindre. Alors, notre autisme ne disparaîtrait pas bien sûr, mais nous en souffririons moins, voire pas du tout.
Que notre handicap soit visible ou invisible, physique ou mental, nous sommes avant tout des êtres humains.
Restons ouverts les uns aux autres. Restons ouverts à nos différences. Car nos différences deviennent nos forces lorsque nous pouvons les faire se rejoindre.
Et toi, qui n’es pas autiste, arrête de dire « fais un effort ! », sans réfléchir au poids de tes paroles. Et n’oublie pas que ce qui est facile pour toi ne l’est pas forcément pour tout le monde.
Crédit : Photo personnelle (il s'agit de moi, enfant, sur la photo)
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