Coralie la tortue avait décidé qu’elle ne voulait plus ni marcher ni nager. Tout simplement parce qu’après sa dernière ponte, elle était si épuisée qu’elle avait déclaré « plus jamais ! ».
Solution radicale s’il en était, mais qui pouvait aisément se comprendre pour qui avait déjà dû traverser un océan entier pour aller pondre sa dernière portée.
Certes, elle aimait bien nager, mais là, elle avait surtout besoin de se poser. Ainsi décida-t-elle, et ainsi se posa-t-elle sur le sable. Ni trop bas ni trop haut, juste à bon niveau pour profiter de l’eau sans se laisser emporter par les vagues.
Elle resta de la sorte pendant quelques semaines sans aucun problème. Elle pensait même pouvoir reprendre prochainement le chemin de l’océan, son isolement commençant à lui peser notablement.
Mais alors qu’elle se préparait au départ, elle croisa Léa, une copine de ponte un peu en retard… et cette dernière s’exclama bruyamment en la voyant :
— Mais quelle horreur, tu es envahie de verrues !
— Des verrues ?
— Mais oui ! Ne vois-tu donc pas tout ce que tu portes sur ta carapace ?
Se tordant un peu le cou, Coralie aperçut, en effet, que de nombreuses balanes avaient élu domicile sur son dos. Voilà qui était bien ennuyeux. Maintenant qu’elle le savait, il lui semblait bien que cela la démangeait. Des crustacés qui s’incrustent, elle n’avait pas pensé à ce risque évident de son immobilisation volontaire autant que nécessaire.
Elle tenta alors - sans grande réflexion - de se rouler dans le sable pour les faire lâcher prise. Ce qui la fit se retrouver sur le dos sans aucun moyen de se retourner. Diantre.
Fort heureusement, Léa l’aida à se remettre d’aplomb promptement.
— Que s’est-il donc passé, ma pauvre, pour que tu sois ainsi affublée de ses horreurs de crustacés ?
— Ma foi, j’ai simplement été obligée de me poser, tant j’étais épuisée.
Léa hocha la tête, compatissante, mais ne pouvait rien faire pour l’aider.
Quelques-unes de ces créatures ne lui auraient pas causé tant de soucis, mais là, son dos en était rempli. Elle craignait que cela ne compromette sa nage, elle s’adressa alors à ses nouveaux amis non consentis en quelques termes bien aigris :
— Vous me pesez ! Déguerpissez, je ne vous ai pas invités !
À sa très grande surprise, car elle ne les connaissait pas capables de posséder l’esprit nécessaire pour discuter, l’un d’entre eux se fit porte-parole et lui répondit :
— Tu ne bougeais plus et semblais fermement décidée à rester aussi statique qu’un rocher ! C’est nous qui sommes à plaindre, car nous ne voulions pas retourner dans l’océan, nous avions seulement besoin de nous poser quelque temps.
Ce discours rappela à notre tortue son propre raisonnement il n’y a pas si longtemps. Se pouvait-il que même ces crustacés puissent être fatigués alors que jamais ils ne bougeaient ?
— Ce n’est pas si simple de rester accrochés en permanence, cela demande de l’énergie, répondit la balane à sa question intérieure.
Coralie hésita puis lança :
— Peut-être, mais je dois également penser à ma propre santé.
La balane resta muette, comme tout coquillage qui se respecte.
Léa apparut alors soudainement à quelques centimètres de son visage, tendant le cou si démesurément que Coralie en sursauta.
— Et bien, as-tu pris un coup de soleil ? Voilà que tu parles seule à présent !
Elle parlait seule ? Avait-elle donc inventé toute cette conversation ? Étrange, elle n’avait pourtant pas abusé du soleil, se cachant sous le sable lors des heures les plus chaudes pour y succomber au sommeil.
— Ma foi… je crois que je vais rester ici encore un petit moment, les crustacés aussi ont parfois besoin de se poser.
Son amie secoua la tête, plus décontenancée que réellement opposée. Puis elle repartit, la laissant seule à nouveau.
Cependant, dès qu’elle l’eut quittée, Coralie entendit distinctement :
— Merci de ta compréhension ! Nous t’en remercions et te promettons que lorsque tu reprendras le chemin de l’océan, nous ne serons plus aussi nombreux, de façon à ne pas te peser.
Dès lors, petit à petit, quelques balanes commencèrent à se détacher lorsqu’elles furent bien reposées. Si bien que lorsque le jour vint où Coralie reprit le chemin de l’océan, ce fut la carapace bien plus légère que précédemment.
À présent, Coralie nageait joyeusement. Les quelques balanes qui étaient restées lui tenaient bonne compagnie, veillant à la propreté de sa carapace tout en lui offrant la possibilité de converser lorsqu’elle se sentait parfois un peu isolée. Plus jamais elle ne fut accusée d’être infestée de verrues. Et si, parfois, on l’observait qui semblait se parler à elle-même, personne ne s’en offusquait. Après tout, à chacun ses amis, qu’ils soient réels ou imaginaires !

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