Super Carpette, la souris la plus moquette !
— SU-PER CAPETTE ! La super-souris la plus super-coquette ! Yeah !
J’ai passé une journée géniale ! Ma cape n’a peut-être pas de paillettes, mais en toute modestie, je la trouve bien plus belle que celle de Super Capette. Depuis ce matin, j’ai envie de chanter et de danser à tue-tête. Et d’ailleurs, maintenant que je suis enfin sortie de l’école, je ne me gêne pas !
— SU-PER CAPETTE ! La sup-
— Schlack !
La gifle soudaine me fait trébucher et tomber. Je me tiens la bajoue par réflexe tandis que mon esprit se fige. D’autres coups pleuvent et je me recroqueville sur moi-même, couinant pathétiquement. J’espère qu’elles ne vont pas trop me blesser, sinon je ne pourrais plus danser, je pense stupidement au milieu du tourbillon confus qui tempête sous mon crâne.
— Ah ah ah ! Tu ne sais pas te défendre contre des plus petites que toi et tu te crois capable de te battre contre des chats maintenant que tu as une espèce de tapis tout moche sur le dos ?! Trop drôle ! Espèce de souris d’égout !
Mes pattes sont comme enlisées dans du fromage fondu. Impossible de bouger. Impossible de fuir. J’ai l’habitude de leurs moqueries, mais c’est la première fois que les petites de la classe inférieure me frappent. Lorsqu’elles partent après avoir chantonné « Léa avec sa carpette, c’est la souris la plus moquette ! », je reste un long moment immobile, prostrée à terre aux côtés de la fameuse carpette qu’elles ont arrachée de mon dos.
Jamais je ne me suis sentie aussi malheureuse, petite, démunie, et fragile.
Et moi qui étais si heureuse aujourd’hui !
C’est dans un état second que je ramasse ma cape-carpette (qui n’a rien de moche et est très belle !) et rentre chez moi en traînant les pattes. Elles ne m’ont pas blessée et pourtant je me sens toute cassée comme du sucre en poudre. En plus amer et moins doux.
Oui, je suis une souris d’égout, et alors ? Elles aussi ! Nous sommes toutes des souris d’égout ! Vraiment, je ne comprends pas du tout pourquoi elles s’en prennent à moi. Je ne leur ai rien fait.
Lorsque j’arrive à l’appartement, je m’enferme dans ma chambre, ignorant Maman qui tente de savoir ce qu’il se passe. Je bloque la porte derrière moi avec ma grande aiguille d’humain. Je ne veux voir personne. Ce n’est pas comme si Maman pouvait m’aider de toute façon.
J’hésite à allumer ma télé, puis finalement, j’abandonne. Ce soir, je ne regarderai pas mon épisode de Super Capette. C’est terminé, je n’y crois plus. Je ne suis pas une Super Souris et je ne le serais jamais.
Super Capette, elle se bat contre des chats terrifiants avec son aiguille et sa cape qui lui permet de voler. Moi ? Je suis tabassée par des plus petites que moi, et mon aiguille me sert à bloquer ma porte quand je veux être tranquille. Tu parles d’une super souris. « Super Capette la souris la plus coquette » n’existe vraiment qu’à la télé.
Je retiens mes larmes. Une magie aussi puissante, ça n’existe pas dans la réalité, ça n’existe plus. Nous, les souris, nous n’avons qu’une magie riquiqui, une magie qui permet à certaines d’entre nous de créer de beaux arcs-en-ciel sans pluie ni soleil, ou encore de faire danser une pâquerette perdue. Et même cette maigre magie-là, elle disparaît de plus en plus. La maîtresse nous a dit qu’elle avait eu du mal à trouver une magicienne qui puisse nous montrer quelques tours à l’école cette année.
Levant le museau, j’observe avec envie le tout petit coin de ciel bleu que je peux apercevoir à travers le soupirail. Alors que mon regard s’éternise sur cet extérieur inatteignable, mon désir de fuir est si intense qu’il me fait mal à la poitrine. J’ai envie de partir très loin d’ici, de le voir vraiment en entier ce ciel bleu, et pas juste un petit morceau. Oui, dehors il y a les chats, je sais, c’est trop dangereux. Mais ici, je n’en peux plus des autres souris. Déjà qu’elles passaient leur temps à se moquer de moi dans la cour de récréation… et maintenant, elles me tapent ! Je n’en peux plus. Il y en a même une qui m’a dit que je ferais mieux de partir aller me faire manger par un chat, qu’au moins je servirai à quelque chose comme ça.
J’ai presque envie de l’écouter. Si la magie n’existe plus dans nos égouts, peut-être que dehors elle existe encore ? J’ai toujours pensé que les Super Souris ont existé ou existent réellement. C’est la seule chose, avec la danse, qui me permettait de rêver et garder espoir. Mais ce soir, je n’y arrive plus.
Je regarde la carpette qui m’a valu tant de moqueries aujourd’hui avec tristesse. Elle est jolie pourtant. Bleu comme le ciel à travers le soupirail, avec une petite fée couleur vert feuille d’été brodée dessus. Maman m’a dit que c’était ma Mamie qui avait rajouté la broderie lorsqu’elle avait appris que j’allais bientôt naître. Mon cadeau de naissance avant qu’elle ne décède parce qu’elle était vieille.
De penser à la mort juste après cette horrible journée, j’ai tellement envie de pleurer que finalement je craque et sanglote le museau pressé contre ma carpette, l’inondant de mes larmes de désespoir.
Ma carpette se met à vibrer.
Quoi ?
Elle vibre encore.
Surprise, je saute sur mes pattes et m’éloigne de trois pas.
Ma carpette bondit sur moi !
Je pousse un cri d’effroi redoutablement strident qui se transforme rapidement en rire aux éclats lorsque ma carpette se met à me chatouiller !
Ah ah ah ! Mais qu’est-ce que… ah ah ah ! C’est trop ! Ah ah ah ! Je ris à n’en plus finir. Heureusement, ma carpette me laisse reprendre mon souffle de temps en temps, et une fois que j’ai essuyé mes dernières larmes – dont je ne sais plus si elles sont de rire ou de tristesse – elle arrête les chatouilles totalement.
Je la surveille tout de même du coin de l’œil, des fois qu’elle voudrait m’attaquer de nouveau.
Puis, prise d’une intuition, je me lèche les babines et lance :
— Heu… Carpette ?
— Tu devrais éviter de parler aux objets que tu ne connais pas, tu sais ?
Je pousse un couinement et plaque mes pattes sur mon museau comme pour stopper mon excitation devant ma carpette qui (aucun doute possible !) vient de me parler.
— Mais, mais, mais…
— Tu veux savoir pourquoi je parle ?
— OUI ! Je crie, les yeux écarquillés.
— Parce que tu m’as appelée.
— Hein ? Mais non, je veux dire, comme ça se fait que tu parles ? Enfin, comment tu peux parler je veux dire ?
— Tu te répètes beaucoup j’ai l’impression. Et tu bafouilles. Je te réponds parce que tu m’as parlé.
— Mais, et les chatouilles ? Je veux dire, tu es vivante ou quoi ? Ou bien quoi ?
OK oui, je bafouille et me répète un peu, elle a raison, mais il faut dire aussi que même si j’avais déjà vu des objets bouger sous le pouvoir d’une magicienne, je n’en avais jamais vu parler !
— Hum… C’est une question difficile. Je ne suis pas vraiment vivante, mais tu m’as réveillée. Mais… dis-moi petite, est-ce que par hasard tu ne serais pas Léa, ma petite-souris chérie ?
— Ta… QUOI ?! Mamie !? La Mamie qui m’a brodé la fée sur ma carpette ?
— Tu en as d’autres des mamies ? Oh pardon, oui, tu en as une autre. Je veux dire, tu en as d’autres, des mamies magiciennes ?
— Mais tu es MORTE !
— Oh. Alors j’ai bien fait de mettre tout ce que j’avais dans cette broderie. Je l’ai créée pour qu’elle te fasse rire quand tu serais triste. Tu en penses quoi ?
— C’EST GÉANT !
— Tu n’es pas obligée de crier.
Je me retiens de hurler pour contempler ma carpette qui est subitement devenue magique. Un objet qui parle, je suis à peu près sûre que c’est le signe d’une très grande magie. Ce sont donc mes larmes qui ont activé la magie que Mamie a brodée sur ma carpette ? Mais si elle possédait une si grande magie, alors peut-être…
— MAMIE ! Tu étais une Super Souris toi aussi ?
— Une quoi ?
— Bah avec ta magie, tu pouvais faire des trucs géniaux non ? Te battre contre les chats, voler, aller explorer dehors très loin, plein de trucs quoi !
— Heu… non, pas vraiment non.
— Rien du tout ? Je tente encore, totalement incrédule.
— Je t’ai brodé une belle fée sur ta carpette !
— Oui d’accord, mais à part ça ?
— J’ai élevé ta maman du mieux possible et elle est devenue une maman à son tour.
J’en reste muette. Trop nul. Moi qui espérais l’entendre me conter de grandes aventures, et peut-être même me révéler un pouvoir dont j’aurais hérité et qui serait endormi, lui aussi. Finalement, j’ai juste gagné une carpette qui peut me faire des chatouilles. Génial.
— Léa ? Tout va bien ? Maintenant que je suis activée, tu peux me parler quand tu veux, tu sais ?
— Pour quoi faire ? je grogne méchamment dans sa direction.
— Quelque chose ne va pas ?
— RIEN NE VA ! J’ai envie de mourir et de tout casser ! J’en peux plus de rien et je veux partir d’ici, mais je suis coincée !
— Allons allons, je peux peut-être t’aider ?
— ET COMMENT ! En faisant des chatouilles à celles qui me tapent ?
— …
— Tu vois, tu peux pas m’aider, personne peut m’aider.
Je me remets à pleurer, et cette fois-ci, Mamie ne me chatouille pas. Heureusement, sinon je pense que je l’aurais brûlée.
Mes larmes me vident tellement que je m’endors à moitié, puis totalement.
Je ne me réveille que le lendemain, et c’est avec le cœur lourd que je me prépare à retourner à l’école. Je n’ai pas le choix, je sais d’avance que Maman ne voudra jamais que je reste enfermée dans l’appartement. J’hésite à emporter ma carpette. Elle n’a plus dit un mot depuis hier. Oh non ! Et si la magie était déjà partie ? Parfois elle ne dure pas très longtemps. Je me précipite vers elle.
— Mamie !?
— Oui ma petite chérie ?
— J’ai eu peur que tu sois partie.
— Non, je ne partirais jamais, je suis pour toujours à tes côtés désormais, quand tu voudras bien de moi.
J’hésite.
— Je ne peux pas t’emmener à l’école, lui dis-je un peu peinée, si les autres souris t’entendent parler elles risquent de s’en prendre à toi. Il y a de moins en moins d’objets magiques dans notre monde, tu sais.
— Je ne me laisserai pas faire !
— Mouais. Sauf que tu peux pas te battre.
— Je peux me défendre ! Avec des chatouilles ! Bon, OK, c’est sûr que ça ne va pas t’aider beaucoup. Dans ce cas… est-ce que tu veux que je leur parle ?
— NON ! Ce serait pire.
— Je vois. Alors, est-ce que tu ne peux pas te débrouiller pour les éviter, tout simplement ?
— Elles sont plus nombreuses que moi et elles vont dans la même école.
— Et ton aiguille ?
— Quoi mon aiguille ? Tu veux que j’emporte mon aiguille à l’école ? Mais c’est super interdit, n’importe quoi Mamie ! En plus, je ne sais pas m’en servir comme Super Capette. Je sais danser, mais pas du tout me battre !
— Danser ? Oh ! Moi aussi j’adore danser !
— T’es morte Mamie.
— Ah oui c’est vrai. Désolée ma chérie, j’avais oublié. Mais si tu sais danser, peut-être que tu peux essayer d’esquiver leurs coups non ? Et puis si tu me portes sur ton dos, je pourrais t’aider en les chatouillant si elles veulent t’attaquer par-derrière !
L’optimisme de Mamie me touche. Esquiver en dansant ? Est-ce que ça pouvait vraiment marcher ?
Le tambourinement de Maman à la porte de ma chambre me décide : j’attrape mon sac, accroche ma carpette autour de mon cou et pars en direction de l’école, sans écouter les protestations de Maman qui me demande de prendre mon petit-déjeuner. Je n’ai pas faim de toute façon, je suis trop inquiète pour ça.
— Il faut manger le matin, ou au moins, boire un verre de jus de fruits, réprimande Mamie dans mon dos.
— Tais-toi Mamie ! Et puis essaye de ne pas m’aider, OK ? J’ai vraiment peur qu’elles s’attaquent à toi si jamais elles réalisent que tu es magique.
— Ma petite souris chérie.
Le ton de Mamie est si adorable que je la serre un peu plus fort autour de mes épaules. Elle est si gentille ! Dommage qu’elle soit morte.
Nous sommes presque arrivées à l’école lorsque Mamie pousse subitement un cri super strident !
— IIIIIIIIIIH !
Par réflexe et pour protéger Mamie, je saute sur la droite, esquivant de justesse la petite souris qui a tenté de me donner un coup de pied aux fesses.
Puis je me mets à rire en repensant au cri de Mamie et lance à haute voix :
— Et bien Mamie ! On dirait que toi aussi tu sais crier !
J’entends un grognement étouffé dans mon dos m’expliquant qu’elle a juste eu un peu peur.
En attendant, la petite souris que j’ai esquivée s’est étalée par terre et est en train de chouiner.
— Tu nous fais quoi là Léa ?! Gronde alors face à moi la petite peste qui veut me voir mangée par un chat.
— Je fais quoi ? Rien du tout, j’ai juste fait un pas de côté, je réponds d’un ton tout à fait innocent (OK, et légèrement sarcastique j’avoue).
Alors elle me lance sa patte en direction de mon visage ! Et moi, je l’esquive avec une facilité déconcertante qui me surprend, mais sans m’arrêter pour autant. Est-ce parce que j’ai Mamie sur mon dos ? Aucune idée, mais à l’opposé d’hier, je ne me fige absolument pas !
S’ensuit comme une danse entre moi et les petites. Elles m’attaquent, et moi j’esquive, je fais des entrechats, des pirouettes, des arabesques. Une petite glissade sur la gauche et hop ! un petit dégagé pour faire peur à la plus jeune de mes attaquantes. Quelques enchaînements et hop ! un grand écart et la patte de ma harceleuse tombe non pas sur moi, mais sur sa camarade. Une cabriole et en voilà une autre qui, de surprise, se retrouve les fesses à terre.
Et pendant tout ce temps-là, je ris, mais je ris ! À m’en épuiser le gosier.
Jamais je ne me suis autant amusée.
C’est seulement une fois toutes les souris hors d’état de nuire que je me demande si Mamie ne m’a pas aidée, et si je n’ai pas un peu volé, comme Super Capette. C’est vraiment l’impression que j’ai eue en dansant !
Je chuchote :
— Mamie ? Tu m’as donné un peu de magie ?
— Pas du tout ma chérie, je ne peux pas faire ça. Tu as été superbe, ta danse était extraordinaire ! Je n’ai même pas eu besoin de les chatouiller.
Alors que je réalise que c’est tout à fait vrai, j’entends la plus horrible des petites, la petite peste, se plaindre comme un bébé :
— Pourquoi t’es si méchante ! Tu dois pas te sauver, t’as pas le droit ! Je dois te taper et te faire peur moi !
Et là voilà qui repart de plus belle à pleurer à chaudes larmes. C’est… surprenant.
— Et pourquoi tu dois me taper, je demande avant de pouvoir m’arrêter.
Après tout, je m’en moque de pourquoi elle me tape, rien ne justifie jamais de frapper quelqu’un !
— Pour que tu te sauves et que le chat te mange !
Sidérée, je regarde la petite qui porte brusquement les pattes devant son museau, réalisant certainement toute l’horreur de ce qu’elle vient de dire. Elle le souhaite donc vraiment ? Que je me fasse manger par un chat, c’est réellement ce qu’elle cherche, ce n’était pas une méchanceté juste jetée au plafond ?
Je n’ai pas besoin de la questionner, ses amies le font à ma place. Les autres n’étaient apparemment pas au courant qu’elle voulait me faire fuguer à l’extérieur et sont très choquées de l’apprendre. Elles finissent par l’insulter et la traiter de rat édenté avant de partir. Bien fait pour elle.
Vouloir que quelqu’un se fasse manger par un chat pour de vrai, c’est vraiment inacceptable. Elle me dégoûte. Enfin, elle me dégoûte, mais elle me fait également pitié. Je sens ma colère disparaître aussi rapidement qu’elle est apparue. Cette petite peste qui me paraissait si méchante la vieille seulement me paraît maintenant minuscule et fragile, à pleurer ainsi toute seule par terre.
Sans réfléchir, je lui tends la patte pour l’aider à se redresser. Elle me regarde, interloquée.
— Pourquoi tu veux m’aider ?
Je hausse les épaules.
— Je ne sais pas, parce que je ne suis pas aussi méchante que toi ?
Elle prend ma patte pour se relever puis se remet à pleurer, cachant sa tête dans ses bras. Sur mon dos, Mamie s’agite. Apparemment, Mamie n’aime vraiment pas les larmes, quelle que soit la souris qui pleure. Bon, tant pis, je n’ai pas le choix !
— Raconte-moi, je lui dis alors, tout simplement.
Et elle le fait. Elle m’explique comment un chat lui a parlé à travers un soupirail et lui a dit que si elle ne poussait pas au moins deux souris à s’enfuir dehors, alors il mangerait ses parents, qui sont obligés de sortir tous les jours pour travailler. Il lui a même promis qu’il la laisserait tranquille une fois les deux souris mangées.
Je n’en reviens pas que cette écervelée ait pu croire une histoire pareille. Quel intérêt aurait le chat à la laisser tranquille ? Elle ne comprend pas qu’elle s’est faite totalement manipuler ?
— Mais t’es un rat sans tête ou quoi ?! Tu dois le dire à tes parents, c’est trop grave !
— Mes parents sont obligés de sortir, et même si je leur dis, ils seront encore obligés de sortir !
— Et alors ! Tes parents ils sont grands, ils ont l’habitude d’éviter les chats ! Pas besoin d’être Super Capette pour éviter les chats !
Dans mon esprit, je m’imagine telle Super Capette, virevoltant entre les chats, avec ma cape pailletée brillant de mille feux. Ah non, pas la cape pailletée de Super Capette, ça ne va pas du tout ! Je modifie mon fantasme pour la remplacer par ma carpette bien à moi, ce qui me fait sourire malgré la situation qui n’a rien de très drôle.
Dans la réalité, la petite me répond :
— Tu ne sais pas toi, à quel point c’est dangereux dehors !
— Si je le sais ! Mon papa il y va tous les jours dehors, qu’est-ce que tu crois, que tu es la seule dont les parents travaillent à l’extérieur ! Il y a au moins la moitié de l’école avec des parents explorateurs !
C’est vrai quoi, nous n’avons pas le choix, puisque nos denrées alimentaires se trouvent essentiellement à l’extérieur.
— Oui, mais-
— Mais rien du tout ! Tu vas me suivre à l’école et on va parler à la directrice !
Elle a l’air effrayée, mais elle me suit bien docilement. Arrivées à l’école, après multiples explications auprès de la directrice et beaucoup de larmes qui font frétiller Mamie sur mon dos, la petite me demande si je peux attendre ses parents avec elle après l’école. Elle a peur de se faire gronder.
Et elle l’est. Beaucoup. Mais heureusement, ça ne dure pas trop longtemps quand même, une fois que j’explique que rien de grave ne m’est arrivé et que maintenant il faut surtout empêcher ce chat de manipuler d’autres souris.
Mamie ne dit rien et ne bouge pas pendant tout de ce temps-là, bien que je la sente frémir de temps à autre. Elle ne doit pas aimer ce qui se dit, notamment lorsque la souris avoue toutes les méchancetés qu’elle m’a faites. Il y en a certaines, je ne savais même pas que c’était elle… quel sale rat vraiment ! Enfin, vu que pour elle aussi ça n’a pas été facile, c’est difficile de la détester. Dire qu’elle a vécu tout ce temps avec cette peur sans jamais rien en montrer !
Lorsque je rentre chez moi ce soir-là, je suis bien décidée. Quand je serais grande, moi aussi je serais une Super Souris ! Et peu importe que Super Capette existe ou pas pour de vrai, moi je suis bien réelle et je sais super bien esquiver !
— MAMAN !!! Quand je serais grande, je veux devenir exploratrice, je vais être comme Super Capette ! Sauf que moi on m’appellera Super Carpette, la souris la plus moquette, mais surtout la plus chouette ! Ah ah ah !
Je crois que Maman ne comprend pas vraiment ce qui m’arrive, mais Mamie oui, et je l’entends glousser dans mon dos, ce qui me fait des petits chatouillis, hi hi hi !
J’ai passé une journée géniale ! Ma cape n’a peut-être pas de paillettes, mais en toute modestie, je la trouve bien plus belle que celle de Super Capette. Depuis ce matin, j’ai envie de chanter et de danser à tue-tête. Et d’ailleurs, maintenant que je suis enfin sortie de l’école, je ne me gêne pas !
— SU-PER CAPETTE ! La sup-
— Schlack !
La gifle soudaine me fait trébucher et tomber. Je me tiens la bajoue par réflexe tandis que mon esprit se fige. D’autres coups pleuvent et je me recroqueville sur moi-même, couinant pathétiquement. J’espère qu’elles ne vont pas trop me blesser, sinon je ne pourrais plus danser, je pense stupidement au milieu du tourbillon confus qui tempête sous mon crâne.
— Ah ah ah ! Tu ne sais pas te défendre contre des plus petites que toi et tu te crois capable de te battre contre des chats maintenant que tu as une espèce de tapis tout moche sur le dos ?! Trop drôle ! Espèce de souris d’égout !
Mes pattes sont comme enlisées dans du fromage fondu. Impossible de bouger. Impossible de fuir. J’ai l’habitude de leurs moqueries, mais c’est la première fois que les petites de la classe inférieure me frappent. Lorsqu’elles partent après avoir chantonné « Léa avec sa carpette, c’est la souris la plus moquette ! », je reste un long moment immobile, prostrée à terre aux côtés de la fameuse carpette qu’elles ont arrachée de mon dos.
Jamais je ne me suis sentie aussi malheureuse, petite, démunie, et fragile.
Et moi qui étais si heureuse aujourd’hui !
C’est dans un état second que je ramasse ma cape-carpette (qui n’a rien de moche et est très belle !) et rentre chez moi en traînant les pattes. Elles ne m’ont pas blessée et pourtant je me sens toute cassée comme du sucre en poudre. En plus amer et moins doux.
Oui, je suis une souris d’égout, et alors ? Elles aussi ! Nous sommes toutes des souris d’égout ! Vraiment, je ne comprends pas du tout pourquoi elles s’en prennent à moi. Je ne leur ai rien fait.
Lorsque j’arrive à l’appartement, je m’enferme dans ma chambre, ignorant Maman qui tente de savoir ce qu’il se passe. Je bloque la porte derrière moi avec ma grande aiguille d’humain. Je ne veux voir personne. Ce n’est pas comme si Maman pouvait m’aider de toute façon.
J’hésite à allumer ma télé, puis finalement, j’abandonne. Ce soir, je ne regarderai pas mon épisode de Super Capette. C’est terminé, je n’y crois plus. Je ne suis pas une Super Souris et je ne le serais jamais.
Super Capette, elle se bat contre des chats terrifiants avec son aiguille et sa cape qui lui permet de voler. Moi ? Je suis tabassée par des plus petites que moi, et mon aiguille me sert à bloquer ma porte quand je veux être tranquille. Tu parles d’une super souris. « Super Capette la souris la plus coquette » n’existe vraiment qu’à la télé.
Je retiens mes larmes. Une magie aussi puissante, ça n’existe pas dans la réalité, ça n’existe plus. Nous, les souris, nous n’avons qu’une magie riquiqui, une magie qui permet à certaines d’entre nous de créer de beaux arcs-en-ciel sans pluie ni soleil, ou encore de faire danser une pâquerette perdue. Et même cette maigre magie-là, elle disparaît de plus en plus. La maîtresse nous a dit qu’elle avait eu du mal à trouver une magicienne qui puisse nous montrer quelques tours à l’école cette année.
Levant le museau, j’observe avec envie le tout petit coin de ciel bleu que je peux apercevoir à travers le soupirail. Alors que mon regard s’éternise sur cet extérieur inatteignable, mon désir de fuir est si intense qu’il me fait mal à la poitrine. J’ai envie de partir très loin d’ici, de le voir vraiment en entier ce ciel bleu, et pas juste un petit morceau. Oui, dehors il y a les chats, je sais, c’est trop dangereux. Mais ici, je n’en peux plus des autres souris. Déjà qu’elles passaient leur temps à se moquer de moi dans la cour de récréation… et maintenant, elles me tapent ! Je n’en peux plus. Il y en a même une qui m’a dit que je ferais mieux de partir aller me faire manger par un chat, qu’au moins je servirai à quelque chose comme ça.
J’ai presque envie de l’écouter. Si la magie n’existe plus dans nos égouts, peut-être que dehors elle existe encore ? J’ai toujours pensé que les Super Souris ont existé ou existent réellement. C’est la seule chose, avec la danse, qui me permettait de rêver et garder espoir. Mais ce soir, je n’y arrive plus.
Je regarde la carpette qui m’a valu tant de moqueries aujourd’hui avec tristesse. Elle est jolie pourtant. Bleu comme le ciel à travers le soupirail, avec une petite fée couleur vert feuille d’été brodée dessus. Maman m’a dit que c’était ma Mamie qui avait rajouté la broderie lorsqu’elle avait appris que j’allais bientôt naître. Mon cadeau de naissance avant qu’elle ne décède parce qu’elle était vieille.
De penser à la mort juste après cette horrible journée, j’ai tellement envie de pleurer que finalement je craque et sanglote le museau pressé contre ma carpette, l’inondant de mes larmes de désespoir.
Ma carpette se met à vibrer.
Quoi ?
Elle vibre encore.
Surprise, je saute sur mes pattes et m’éloigne de trois pas.
Ma carpette bondit sur moi !
Je pousse un cri d’effroi redoutablement strident qui se transforme rapidement en rire aux éclats lorsque ma carpette se met à me chatouiller !
Ah ah ah ! Mais qu’est-ce que… ah ah ah ! C’est trop ! Ah ah ah ! Je ris à n’en plus finir. Heureusement, ma carpette me laisse reprendre mon souffle de temps en temps, et une fois que j’ai essuyé mes dernières larmes – dont je ne sais plus si elles sont de rire ou de tristesse – elle arrête les chatouilles totalement.
Je la surveille tout de même du coin de l’œil, des fois qu’elle voudrait m’attaquer de nouveau.
Puis, prise d’une intuition, je me lèche les babines et lance :
— Heu… Carpette ?
— Tu devrais éviter de parler aux objets que tu ne connais pas, tu sais ?
Je pousse un couinement et plaque mes pattes sur mon museau comme pour stopper mon excitation devant ma carpette qui (aucun doute possible !) vient de me parler.
— Mais, mais, mais…
— Tu veux savoir pourquoi je parle ?
— OUI ! Je crie, les yeux écarquillés.
— Parce que tu m’as appelée.
— Hein ? Mais non, je veux dire, comme ça se fait que tu parles ? Enfin, comment tu peux parler je veux dire ?
— Tu te répètes beaucoup j’ai l’impression. Et tu bafouilles. Je te réponds parce que tu m’as parlé.
— Mais, et les chatouilles ? Je veux dire, tu es vivante ou quoi ? Ou bien quoi ?
OK oui, je bafouille et me répète un peu, elle a raison, mais il faut dire aussi que même si j’avais déjà vu des objets bouger sous le pouvoir d’une magicienne, je n’en avais jamais vu parler !
— Hum… C’est une question difficile. Je ne suis pas vraiment vivante, mais tu m’as réveillée. Mais… dis-moi petite, est-ce que par hasard tu ne serais pas Léa, ma petite-souris chérie ?
— Ta… QUOI ?! Mamie !? La Mamie qui m’a brodé la fée sur ma carpette ?
— Tu en as d’autres des mamies ? Oh pardon, oui, tu en as une autre. Je veux dire, tu en as d’autres, des mamies magiciennes ?
— Mais tu es MORTE !
— Oh. Alors j’ai bien fait de mettre tout ce que j’avais dans cette broderie. Je l’ai créée pour qu’elle te fasse rire quand tu serais triste. Tu en penses quoi ?
— C’EST GÉANT !
— Tu n’es pas obligée de crier.
Je me retiens de hurler pour contempler ma carpette qui est subitement devenue magique. Un objet qui parle, je suis à peu près sûre que c’est le signe d’une très grande magie. Ce sont donc mes larmes qui ont activé la magie que Mamie a brodée sur ma carpette ? Mais si elle possédait une si grande magie, alors peut-être…
— MAMIE ! Tu étais une Super Souris toi aussi ?
— Une quoi ?
— Bah avec ta magie, tu pouvais faire des trucs géniaux non ? Te battre contre les chats, voler, aller explorer dehors très loin, plein de trucs quoi !
— Heu… non, pas vraiment non.
— Rien du tout ? Je tente encore, totalement incrédule.
— Je t’ai brodé une belle fée sur ta carpette !
— Oui d’accord, mais à part ça ?
— J’ai élevé ta maman du mieux possible et elle est devenue une maman à son tour.
J’en reste muette. Trop nul. Moi qui espérais l’entendre me conter de grandes aventures, et peut-être même me révéler un pouvoir dont j’aurais hérité et qui serait endormi, lui aussi. Finalement, j’ai juste gagné une carpette qui peut me faire des chatouilles. Génial.
— Léa ? Tout va bien ? Maintenant que je suis activée, tu peux me parler quand tu veux, tu sais ?
— Pour quoi faire ? je grogne méchamment dans sa direction.
— Quelque chose ne va pas ?
— RIEN NE VA ! J’ai envie de mourir et de tout casser ! J’en peux plus de rien et je veux partir d’ici, mais je suis coincée !
— Allons allons, je peux peut-être t’aider ?
— ET COMMENT ! En faisant des chatouilles à celles qui me tapent ?
— …
— Tu vois, tu peux pas m’aider, personne peut m’aider.
Je me remets à pleurer, et cette fois-ci, Mamie ne me chatouille pas. Heureusement, sinon je pense que je l’aurais brûlée.
Mes larmes me vident tellement que je m’endors à moitié, puis totalement.
Je ne me réveille que le lendemain, et c’est avec le cœur lourd que je me prépare à retourner à l’école. Je n’ai pas le choix, je sais d’avance que Maman ne voudra jamais que je reste enfermée dans l’appartement. J’hésite à emporter ma carpette. Elle n’a plus dit un mot depuis hier. Oh non ! Et si la magie était déjà partie ? Parfois elle ne dure pas très longtemps. Je me précipite vers elle.
— Mamie !?
— Oui ma petite chérie ?
— J’ai eu peur que tu sois partie.
— Non, je ne partirais jamais, je suis pour toujours à tes côtés désormais, quand tu voudras bien de moi.
J’hésite.
— Je ne peux pas t’emmener à l’école, lui dis-je un peu peinée, si les autres souris t’entendent parler elles risquent de s’en prendre à toi. Il y a de moins en moins d’objets magiques dans notre monde, tu sais.
— Je ne me laisserai pas faire !
— Mouais. Sauf que tu peux pas te battre.
— Je peux me défendre ! Avec des chatouilles ! Bon, OK, c’est sûr que ça ne va pas t’aider beaucoup. Dans ce cas… est-ce que tu veux que je leur parle ?
— NON ! Ce serait pire.
— Je vois. Alors, est-ce que tu ne peux pas te débrouiller pour les éviter, tout simplement ?
— Elles sont plus nombreuses que moi et elles vont dans la même école.
— Et ton aiguille ?
— Quoi mon aiguille ? Tu veux que j’emporte mon aiguille à l’école ? Mais c’est super interdit, n’importe quoi Mamie ! En plus, je ne sais pas m’en servir comme Super Capette. Je sais danser, mais pas du tout me battre !
— Danser ? Oh ! Moi aussi j’adore danser !
— T’es morte Mamie.
— Ah oui c’est vrai. Désolée ma chérie, j’avais oublié. Mais si tu sais danser, peut-être que tu peux essayer d’esquiver leurs coups non ? Et puis si tu me portes sur ton dos, je pourrais t’aider en les chatouillant si elles veulent t’attaquer par-derrière !
L’optimisme de Mamie me touche. Esquiver en dansant ? Est-ce que ça pouvait vraiment marcher ?
Le tambourinement de Maman à la porte de ma chambre me décide : j’attrape mon sac, accroche ma carpette autour de mon cou et pars en direction de l’école, sans écouter les protestations de Maman qui me demande de prendre mon petit-déjeuner. Je n’ai pas faim de toute façon, je suis trop inquiète pour ça.
— Il faut manger le matin, ou au moins, boire un verre de jus de fruits, réprimande Mamie dans mon dos.
— Tais-toi Mamie ! Et puis essaye de ne pas m’aider, OK ? J’ai vraiment peur qu’elles s’attaquent à toi si jamais elles réalisent que tu es magique.
— Ma petite souris chérie.
Le ton de Mamie est si adorable que je la serre un peu plus fort autour de mes épaules. Elle est si gentille ! Dommage qu’elle soit morte.
Nous sommes presque arrivées à l’école lorsque Mamie pousse subitement un cri super strident !
— IIIIIIIIIIH !
Par réflexe et pour protéger Mamie, je saute sur la droite, esquivant de justesse la petite souris qui a tenté de me donner un coup de pied aux fesses.
Puis je me mets à rire en repensant au cri de Mamie et lance à haute voix :
— Et bien Mamie ! On dirait que toi aussi tu sais crier !
J’entends un grognement étouffé dans mon dos m’expliquant qu’elle a juste eu un peu peur.
En attendant, la petite souris que j’ai esquivée s’est étalée par terre et est en train de chouiner.
— Tu nous fais quoi là Léa ?! Gronde alors face à moi la petite peste qui veut me voir mangée par un chat.
— Je fais quoi ? Rien du tout, j’ai juste fait un pas de côté, je réponds d’un ton tout à fait innocent (OK, et légèrement sarcastique j’avoue).
Alors elle me lance sa patte en direction de mon visage ! Et moi, je l’esquive avec une facilité déconcertante qui me surprend, mais sans m’arrêter pour autant. Est-ce parce que j’ai Mamie sur mon dos ? Aucune idée, mais à l’opposé d’hier, je ne me fige absolument pas !
S’ensuit comme une danse entre moi et les petites. Elles m’attaquent, et moi j’esquive, je fais des entrechats, des pirouettes, des arabesques. Une petite glissade sur la gauche et hop ! un petit dégagé pour faire peur à la plus jeune de mes attaquantes. Quelques enchaînements et hop ! un grand écart et la patte de ma harceleuse tombe non pas sur moi, mais sur sa camarade. Une cabriole et en voilà une autre qui, de surprise, se retrouve les fesses à terre.
Et pendant tout ce temps-là, je ris, mais je ris ! À m’en épuiser le gosier.
Jamais je ne me suis autant amusée.
C’est seulement une fois toutes les souris hors d’état de nuire que je me demande si Mamie ne m’a pas aidée, et si je n’ai pas un peu volé, comme Super Capette. C’est vraiment l’impression que j’ai eue en dansant !
Je chuchote :
— Mamie ? Tu m’as donné un peu de magie ?
— Pas du tout ma chérie, je ne peux pas faire ça. Tu as été superbe, ta danse était extraordinaire ! Je n’ai même pas eu besoin de les chatouiller.
Alors que je réalise que c’est tout à fait vrai, j’entends la plus horrible des petites, la petite peste, se plaindre comme un bébé :
— Pourquoi t’es si méchante ! Tu dois pas te sauver, t’as pas le droit ! Je dois te taper et te faire peur moi !
Et là voilà qui repart de plus belle à pleurer à chaudes larmes. C’est… surprenant.
— Et pourquoi tu dois me taper, je demande avant de pouvoir m’arrêter.
Après tout, je m’en moque de pourquoi elle me tape, rien ne justifie jamais de frapper quelqu’un !
— Pour que tu te sauves et que le chat te mange !
Sidérée, je regarde la petite qui porte brusquement les pattes devant son museau, réalisant certainement toute l’horreur de ce qu’elle vient de dire. Elle le souhaite donc vraiment ? Que je me fasse manger par un chat, c’est réellement ce qu’elle cherche, ce n’était pas une méchanceté juste jetée au plafond ?
Je n’ai pas besoin de la questionner, ses amies le font à ma place. Les autres n’étaient apparemment pas au courant qu’elle voulait me faire fuguer à l’extérieur et sont très choquées de l’apprendre. Elles finissent par l’insulter et la traiter de rat édenté avant de partir. Bien fait pour elle.
Vouloir que quelqu’un se fasse manger par un chat pour de vrai, c’est vraiment inacceptable. Elle me dégoûte. Enfin, elle me dégoûte, mais elle me fait également pitié. Je sens ma colère disparaître aussi rapidement qu’elle est apparue. Cette petite peste qui me paraissait si méchante la vieille seulement me paraît maintenant minuscule et fragile, à pleurer ainsi toute seule par terre.
Sans réfléchir, je lui tends la patte pour l’aider à se redresser. Elle me regarde, interloquée.
— Pourquoi tu veux m’aider ?
Je hausse les épaules.
— Je ne sais pas, parce que je ne suis pas aussi méchante que toi ?
Elle prend ma patte pour se relever puis se remet à pleurer, cachant sa tête dans ses bras. Sur mon dos, Mamie s’agite. Apparemment, Mamie n’aime vraiment pas les larmes, quelle que soit la souris qui pleure. Bon, tant pis, je n’ai pas le choix !
— Raconte-moi, je lui dis alors, tout simplement.
Et elle le fait. Elle m’explique comment un chat lui a parlé à travers un soupirail et lui a dit que si elle ne poussait pas au moins deux souris à s’enfuir dehors, alors il mangerait ses parents, qui sont obligés de sortir tous les jours pour travailler. Il lui a même promis qu’il la laisserait tranquille une fois les deux souris mangées.
Je n’en reviens pas que cette écervelée ait pu croire une histoire pareille. Quel intérêt aurait le chat à la laisser tranquille ? Elle ne comprend pas qu’elle s’est faite totalement manipuler ?
— Mais t’es un rat sans tête ou quoi ?! Tu dois le dire à tes parents, c’est trop grave !
— Mes parents sont obligés de sortir, et même si je leur dis, ils seront encore obligés de sortir !
— Et alors ! Tes parents ils sont grands, ils ont l’habitude d’éviter les chats ! Pas besoin d’être Super Capette pour éviter les chats !
Dans mon esprit, je m’imagine telle Super Capette, virevoltant entre les chats, avec ma cape pailletée brillant de mille feux. Ah non, pas la cape pailletée de Super Capette, ça ne va pas du tout ! Je modifie mon fantasme pour la remplacer par ma carpette bien à moi, ce qui me fait sourire malgré la situation qui n’a rien de très drôle.
Dans la réalité, la petite me répond :
— Tu ne sais pas toi, à quel point c’est dangereux dehors !
— Si je le sais ! Mon papa il y va tous les jours dehors, qu’est-ce que tu crois, que tu es la seule dont les parents travaillent à l’extérieur ! Il y a au moins la moitié de l’école avec des parents explorateurs !
C’est vrai quoi, nous n’avons pas le choix, puisque nos denrées alimentaires se trouvent essentiellement à l’extérieur.
— Oui, mais-
— Mais rien du tout ! Tu vas me suivre à l’école et on va parler à la directrice !
Elle a l’air effrayée, mais elle me suit bien docilement. Arrivées à l’école, après multiples explications auprès de la directrice et beaucoup de larmes qui font frétiller Mamie sur mon dos, la petite me demande si je peux attendre ses parents avec elle après l’école. Elle a peur de se faire gronder.
Et elle l’est. Beaucoup. Mais heureusement, ça ne dure pas trop longtemps quand même, une fois que j’explique que rien de grave ne m’est arrivé et que maintenant il faut surtout empêcher ce chat de manipuler d’autres souris.
Mamie ne dit rien et ne bouge pas pendant tout de ce temps-là, bien que je la sente frémir de temps à autre. Elle ne doit pas aimer ce qui se dit, notamment lorsque la souris avoue toutes les méchancetés qu’elle m’a faites. Il y en a certaines, je ne savais même pas que c’était elle… quel sale rat vraiment ! Enfin, vu que pour elle aussi ça n’a pas été facile, c’est difficile de la détester. Dire qu’elle a vécu tout ce temps avec cette peur sans jamais rien en montrer !
Lorsque je rentre chez moi ce soir-là, je suis bien décidée. Quand je serais grande, moi aussi je serais une Super Souris ! Et peu importe que Super Capette existe ou pas pour de vrai, moi je suis bien réelle et je sais super bien esquiver !
— MAMAN !!! Quand je serais grande, je veux devenir exploratrice, je vais être comme Super Capette ! Sauf que moi on m’appellera Super Carpette, la souris la plus moquette, mais surtout la plus chouette ! Ah ah ah !
Je crois que Maman ne comprend pas vraiment ce qui m’arrive, mais Mamie oui, et je l’entends glousser dans mon dos, ce qui me fait des petits chatouillis, hi hi hi !
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