Héroïne de son monde

« La déesse de la Terre, si terrible ces derniers temps, ne fait pourtant que protéger ses enfants. Tsunamis et incendies, tremblements et ouragans, elle fait de son mieux pour déblayer et nettoyer sa surface contaminée. Sans succès. Elle œuvre de façon désordonnée, désespérée.
Que pouvons-nous y faire ?
L’écouter, la voir, la comprendre, et enfin, le plus important : nous pouvons agir et cesser de subir, nous imaginant petits et démunis. Nous ne sommes pas petits, nous ne sommes pas démunis, nous sommes nombreux, et du nombre peut émerger la puissance. »
Emma dévorait son livre de fantasy à la lueur de son téléphone portable, accessoire arraché à ses parents à grand renfort de crises et de diatribes culpabilisantes bien calculées. Mais au final, les réseaux la saoulaient tellement qu’elle avait cessé complètement d’y aller. Marre des dramas pour des riens et des fausses amitiés. Au moins, le personnage de son livre, lui, il était fort ! Enfin, ELLE, plus exactement, et ça, c’était encore mieux ! En plus, l’héroïne s’appelait Irma, presque le même prénom qu’elle ! Bref, tout ça cumulé lui donnait envie d’agir, à l’image de son héroïne.
Car bien qu’elle n’utilisât plus les réseaux, elle en avait vu assez pour comprendre que l’état actuel de notre Terre n’était pas meilleur que celui présenté par son roman. Tsunamis, incendies, tremblements de terre et ouragans : elle avait réalisé tout ça en quelques mois à travers son petit écran. Elle avait également vu les alertes à la pollution, la dégradation de la nature par l’humain, le réchauffement climatique, la disparition alarmante des insectes et des animaux… tellement de catastrophes passées et à venir, c’était terrifiant. Irma et la Terre avaient bien raison de se rebeller !
Son cœur battait la chamade et son esprit était plus éveillé que jamais. Elle n’était pas près de s’endormir. Frissonnante, elle sortit de son lit tout doucement, sans faire de bruit. Une fois habillée, elle descendit lentement les escaliers en faisant bien attention de ne pas les faire grincer et passa par la porte-fenêtre menant sur son jardin après avoir enfilé ses bottes.
Immobile sur la terrasse dont ses parents étaient tellement fiers, elle écouta les bruits de la nuit. Un petit bruit répétitif « kii kii » lui fit deviner un oiseau, mais lequel ? Elle n’en savait rien. Un frou-frou entendu dans les buissons était quant à lui caractéristique d'un hérisson. Un bourdonnement lui fit craindre les moustiques, mais d’un autre côté, elle était bien contente qu’il en reste encore. Un peu plus loin, mais qu’elle entendait très clairement, le coassement de dizaines de grenouilles en pleine célébration s’élevait.
Elle inspira ensuite longuement, se délectant de cette légère odeur de pétrichor. Elle avait de la chance, ses parents avaient un jardin et il n’était pas taillé au cordeau. La plupart de ses camarades habitaient en appartement, sans la moindre verdure. S’approchant à petits pas du grand saule pleureur au centre de ce petit coin de paradis, elle aperçut un papier aluminium dans l’herbe humide et son cœur se serra. Il s’était envolé lorsqu’ils avaient fait la chasse aux œufs lundi dernier et elle ne l’avait pas ramassé, toute à son excitation du moment. Elle l’attrapa et le mit dans sa poche, attristée et un peu honteuse.
Retournant auprès du saule, elle l’enlaça. Elle était heureuse qu’il soit là et de pouvoir laisser glisser ses angoisses le long de son tronc jusqu’à ce qu’elles soient absorbées et disparaissent comme par magie. Cet arbre, il l’aidait au quotidien, mais c’était seulement maintenant qu’elle réalisait la chance qu’elle avait de l’avoir. En y réfléchissant, lui aussi devait être angoissé. Peut-être l’enlacer le réconfortait-il également un peu de son côté ? Les arbres, elle savait depuis toute petite qu’ils communiquaient entre eux, et que son majestueux saule avait certainement ressenti jusque dans sa sève le déracinement des deux arbres que le voisin avait dégagés sous prétexte que « ça prend de la place et ça me fait de l’ombre ».
Alors qu’elle était toujours collée à son ami le saule, un craquement se fit entendre et elle regarda, immobile, le petit lapin qui venait s’aventurer à la lueur de la pleine lune. Il ne la vit pas et continua son chemin en bondissant vers d’autres lieux. Un sourire s’étala sur son visage, tarissant les larmes qu’elle n’avait même pas remarquées. Elle resta ainsi de longues minutes, simplement heureuse.
Puis elle retourna se coucher, mais sans reprendre le fil de son récit, sans se replonger dans cette fabuleuse histoire. Elle réfléchissait. C’était bien beau de se rêver héroïne, mais concrètement, que pouvait-elle faire, elle, pour la planète ?
Puis des tonnes de pensées se mirent à envahir son esprit :
— Elle pouvait dire au voisin que l’ombre de ses beaux arbres, il allait la regretter lors de la prochaine canicule, et qu’il devrait en replanter pour son avenir de celui de ses enfants.
— Elle pourrait initier sa copine Maeva, qui était souvent triste ces temps-ci, à la sylvothérapie, et toutes les deux enlacer l’arbre unique de leur école primaire. Elle n’avait jamais osé le faire en public, comme si c’était honteux. Mais ça ne l’était pas. Oui, les arbres étaient ses amis, nos amis, et elle n’avait pas à avoir honte d’eux.
— Elle pourrait dire à ses parents d’acheter moins d’emballages. Le chocolat à pâques, c’était super, mais elle préférait en avoir moins et qu’il ne soit pas emballé dans du plastique ou de l’aluminium — souvent les deux. La chasse aux œufs, on pouvait la faire avec des cailloux ou des coquillages. Au moins, même en plein soleil, ceux-là ne risquaient pas de fondre.
— Elle pourrait se renseigner sur les différents animaux qui peuplaient son jardin, car finalement, ils étaient un peu comme des voisins secrets. Jusqu’à cette nuit, elle ignorait totalement que des lapins pouvaient s’y promener. Mieux les connaître, c’était penser à eux, et penser à eux, c’était ensuite être capable de les aider du mieux qu’on le pouvait.
Et tant d’autres choses encore.
C'était décidé, dès demain matin, elle prendrait les choses en main ! La Terre avait besoin d’aide. Et puisqu’elle ne pouvait pour le moment agir que sur elle-même et son entourage, alors c’est ce qu’elle ferait. Ce serait déjà un premier pas. Tout comme son héroïne, elle allait agir et prendre le pouvoir !
Elle serait l’héroïne de son monde, de son petit coin de monde à elle.
Si vous avez aimé cette histoire, partagez-là !
Facebook Twitter Linkedin email
retour à la section