Notre seul espoir de survie

Le vent frémissait dans mes feuilles, la bise délicate chatouillant mes branches et caressant mon tronc tel un insecte butineur en quête de nectar. J’avais mis du temps à y croire au début, à l’époque où je ne faisais qu’une petite dizaine de mètres de hauteur.
« Préservons la forêt » était quelque chose que les humains aimaient beaucoup à dire, mais peu à faire.
Puis tout avait changé. Désormais, j’étais libre. Vraiment. Réellement. Nous étions libres, libres depuis de très nombreuses saisons, depuis plusieurs générations d’humains.
Je me souvenais encore précisément de ces jours lointains, les jours d’avant le Grand Changement. J’étais jeune alors, une simple pousse à l’abri d’un grand chêne. Le grand chêne avait été abattu, mais j’avais miraculeusement survécu. Quel âge avais-je ce jour-là ? Un an ? Deux ? Le temps était difficile à mesurer à la façon des humains.
— Tu dérives encore dans tes pensées, souffle mon voisin dans le creux de mes rameaux chahutés par le vent.
— J’aime à dériver.
— L’heure des humains arrive.
— Je ne les crains plus.
— Tu devrais, cela ne fait qu’un siècle.
— Ils sont différents à présent.
J’en étais certain. Peut-être parce que je ne les avais connus que très jeune ? Les feux, les abattages, les poisons qui menaçaient nos racines. Je n’avais connu tout ceci qu’un bref instant, le temps d’un soupir inquiet. J’avais entendu les histoires, mais n’avais vécu que quelques traumatismes. La plupart des autres avaient perdu beaucoup plus.
Nous n’avions pas réellement de famille comme les humains, mais nous nous connaissions tous depuis notre plus tendre enfance, nous n’étions qu’Un. Chaque perte nous touchait aussi profondément qu’un humain perdant un membre de sa famille.
Les humains, eux, ne pensaient pas en globalité. Ils étaient trop individuels, trop renfermés. Soit sur eux-mêmes, soit sur une petite communauté s’étendant rarement bien loin. C’était bien là qu’était leur erreur.
Mais ça, c’était avant. Je voulais croire que les humains avaient changé.
Désormais, depuis cette fameuse époque, les humains se rassemblaient chaque jour à la tombée de la nuit pour nous parler et nous enlacer. Certains des nôtres choisissaient alors de rester muets, mais d’autres, comme moi, envoyaient aux humains des pensées positives à cette occasion. J’aimais ces humains respectueux.
— Grandis bien, petit humain. Grandis bien et meurs bien. Tel est le cycle de la vie.
Je ne savais pas vraiment si les humains m’entendaient, mais le jeune enfant qui m’avait enlacé se mit à rire doucement. Les enfants d’humains étaient de jeunes pousses qui grandissaient bien vite. Était-ce pour cela qu’ils avaient commis tant d’erreurs par le passé ? Ils vivaient si peu de temps qu’ils en avaient peut-être oublié de penser à leur descendance lointaine ?
Ne faire qu’un avec la Terre. Ne faire qu’un avec le Ciel. C’était pourtant la seule façon de vivre une vie heureuse et épanouie.
Mes racines s’enfonçaient profondément dans le sol grouillant d’insectes, de vies. Elles trouvaient assez d’eau pour étancher ma soif et assez de nutriments pour que je produise chaque année de belles feuilles et de beaux glands.
J’étais à la fois triste et heureux pour les humains. Le virus qui les avait décimés les avait beaucoup blessés, mais désormais, ceux qui avaient survécu connaissaient l’importance de toutes les vies qui les entouraient, et prenaient soin de nous, la forêt.
— Pour combien de temps encore ? gémit à nouveau mon voisin.
— J’ai confiance. Je crois en eux.
— J’ai cinq cent ans, ils m’ont trop déçu.
Je comprenais cette déception, mais j’avais besoin d’y croire.
Car l’espoir que les humains ne seraient plus jamais pris de folie destructrice était également notre seul espoir de survie. Tout comme nous étions le leur.
Crédit :Photo de Pietro Voso sur Unsplash
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