Catastrophe naturelle
Les vibrations ressenties ce jour-là me firent sortir de chez moi pour observer l’horizon, et je mis un certain temps à réaliser et décrypter ce que mes yeux me renvoyaient. Un agrégat ? Une monstruosité ? Un phénomène ? Non. De simples animaux, de multiples animaux, grands ou petits, volants ou rampants, traversaient la campagne où je m’étais isolé une fois ma retraite arrivée. Un groupe dense de créatures vivantes diverses et variées courait au loin. Jamais je n’avais vu ça.
Et les jours suivants, j’en vis d’autres. Toujours de la même façon, à l’horizon, agglutinés tel un essaim d’abeilles dans un champ de fleurs - spectacle aujourd’hui disparu. Ils allaient tous dans la même direction, comme s’ils migraient. Et en effet, ces troupeaux, bien qu’ils tiennent plus du train à vapeur lorsque je les contemplais, me faisaient également penser aux nuées d’oiseaux qui parfois égayaient encore le ciel, même si cela faisait bien longtemps que je n’en avais plus observé. Il faut bien avouer que de voir tous ces animaux, cela réchauffait un peu mon vieux cœur. Ils m’avaient manqué, et le spectacle en était d’autant plus incroyable.
Je crus dans un premier temps à une folie éphémère, le genre d’évènements que personne ne parvient jamais à expliquer malgré la science et toutes ses avancées. Mais plus les jours passaient, et plus je me rendais à l’évidence que folie ou pas, cette dernière était loin d’être éphémère. Je m’étonnais même de voir autant d’animaux, je les supposais presque disparus, à force de ne plus que rarement les entrevoir, y compris en pleine nature comme je l’étais. Ils avaient pris l’habitude de se cacher de plus en plus ses dernières années. La faute aux traques, que certains appellent encore parfois « parties de chasse », et qui s’étendaient désormais à toute espèce animale. Et à l’occasion humaine, mais ça, c’était toujours officiellement interdit dans la plupart des pays, et seuls quelques ultrariches se permettaient d’en poster des photos sur les réseaux, certains de leur impunité.
Je fermai les yeux pour m’ôter ces mauvais souvenirs de la tête. C’était ce qui m’avait fait quitter les réseaux et me faisait craindre d’y revenir. Mais si je voulais comprendre ce qu’il se passait, je n’avais guère d’autre solution. Le spectacle avait beau être de toute beauté, il était également bien trop inhabituel pour ne pas être inquiétant.
Où pouvaient-ils bien migrer, tous ? Et pour quelle raison ? Certes, l’hiver était là, mais il était plutôt doux, avec quelques coups de froid sporadiques. Le « y a plus de saisons » était une expression depuis longtemps tombée dans les limbes, puisque seules quelques fêtes marquaient encore le passage du temps et le découpage de l’année en diverses sections désormais arbitraires.
Ma curiosité eut le dessus, et une fois connecté, je constatais rapidement que non seulement les journalistes s’étaient emparés du problème, mais également que ce dernier n’était pas cantonné à mon petit coin de désolation, ni même à mon petit pays. Il me fallut alors me rendre à l’évidence et réaliser que tous ces animaux ne migraient pas, mais qu’ils fuyaient, tout simplement. Les animaux fuyaient. Depuis le pôle Nord jusqu’au pôle Sud. Ceux du Nord fuyaient vers le Sud, et ceux du Sud fuyaient vers le Nord. Certaines hordes fuyaient, elles, à l’Est ou à l’Ouest. D’une façon qui semblait totalement anarchique, chaotique. Mon cœur se serra douloureusement à ces images, à cette idée.
Puis mon chien aussi m’abandonna, et ce fut, je crois, ce qui m’effraya le plus. J’étais à la retraite depuis un certain temps déjà, je ne pensais plus craindre grand-chose, mais ça, ce n’était vraiment pas un bon signe. Mon chien si dévoué ne prit même pas la peine de me dire au revoir. Après quelques jours d’agitation, il disparut, tout simplement. Je n’eus pas besoin de réfléchir beaucoup pour réaliser qu’il avait rejoint les autres.
Je regrettais un bref instant de ne pas être un animal moi-même, de ne pas être capable de partir sans un regard en arrière. Je me surpris même à hésiter, me demandant ce qui me retenait vraiment. Et puis l’habitude me fit rester chez moi, enfermé dans mon petit cocon pour un semblant de sécurité qui n’était – et je le savais – que très relatif.
Moi et les milliards d’habitants de la Terre nous attendions à ce que cette migration, cette fuite, cesse à un moment, une fois leur destination atteinte. Il me fallut du temps pour comprendre, et il en fallut encore plus aux médias et aux autorités pour avouer que malheureusement il n’en était rien. Ils ne se dirigeaient pas vers le Sud pour fuir le froid, ni vers leurs lieux de naissance y pondre leurs descendants, ni vers les hauteurs pour échapper à un quelconque tsunami.
Les animaux fuyaient, mais n’avaient nul endroit où aller, nul havre de paix à trouver, ils étaient seulement désespérés, en panique comme des poulets sans tête. La seule chose que je ne comprenais pas encore, c’était la raison de leur fuite. J’avais peur. Les animaux fuyaient comme suite à un déclic, et pour qu’ils fuient tous ainsi de manière aussi coordonnée que désespérée, c’était que la menace était imminente. Combien de temps nous restait-il ?
Les médias s’en donnaient à cœur joie, les complotistes également. Et les uns n’étaient pas plus crédibles que les autres, les solutions proposées pas aussi folles qu’il n’y paraissait, car mieux valait n’importe quelle explication que pas d’explication du tout. La Terre sur le point d’exploser ? Oui, pourquoi pas, c’était cohérent. Une attaque extra-terrestre ? Oui, c’était possible également. Virus ? Oui, cela semblait raisonnable. Chacun y allait de son grain de sel, de son explication abracadabrante.
Et moi ? Moi j’avais de nouveau éteint les infos, coupé mon téléphone. Je ne voulais plus rien savoir, plus rien entendre. Je voulais me mettre la tête dans le sable et m’en recouvrir les oreilles et les yeux. Je voulais oublier ce que j’avais vu, ce que j’avais entendu, et surtout, ce que j’avais compris.
Car oui, j’avais compris.
Les animaux avaient enfin assimilé les humains à une catastrophe naturelle et ils nous fuyaient. Ils nous fuyaient désespérément.
Mais nous étions partout.
Et les jours suivants, j’en vis d’autres. Toujours de la même façon, à l’horizon, agglutinés tel un essaim d’abeilles dans un champ de fleurs - spectacle aujourd’hui disparu. Ils allaient tous dans la même direction, comme s’ils migraient. Et en effet, ces troupeaux, bien qu’ils tiennent plus du train à vapeur lorsque je les contemplais, me faisaient également penser aux nuées d’oiseaux qui parfois égayaient encore le ciel, même si cela faisait bien longtemps que je n’en avais plus observé. Il faut bien avouer que de voir tous ces animaux, cela réchauffait un peu mon vieux cœur. Ils m’avaient manqué, et le spectacle en était d’autant plus incroyable.
Je crus dans un premier temps à une folie éphémère, le genre d’évènements que personne ne parvient jamais à expliquer malgré la science et toutes ses avancées. Mais plus les jours passaient, et plus je me rendais à l’évidence que folie ou pas, cette dernière était loin d’être éphémère. Je m’étonnais même de voir autant d’animaux, je les supposais presque disparus, à force de ne plus que rarement les entrevoir, y compris en pleine nature comme je l’étais. Ils avaient pris l’habitude de se cacher de plus en plus ses dernières années. La faute aux traques, que certains appellent encore parfois « parties de chasse », et qui s’étendaient désormais à toute espèce animale. Et à l’occasion humaine, mais ça, c’était toujours officiellement interdit dans la plupart des pays, et seuls quelques ultrariches se permettaient d’en poster des photos sur les réseaux, certains de leur impunité.
Je fermai les yeux pour m’ôter ces mauvais souvenirs de la tête. C’était ce qui m’avait fait quitter les réseaux et me faisait craindre d’y revenir. Mais si je voulais comprendre ce qu’il se passait, je n’avais guère d’autre solution. Le spectacle avait beau être de toute beauté, il était également bien trop inhabituel pour ne pas être inquiétant.
Où pouvaient-ils bien migrer, tous ? Et pour quelle raison ? Certes, l’hiver était là, mais il était plutôt doux, avec quelques coups de froid sporadiques. Le « y a plus de saisons » était une expression depuis longtemps tombée dans les limbes, puisque seules quelques fêtes marquaient encore le passage du temps et le découpage de l’année en diverses sections désormais arbitraires.
Ma curiosité eut le dessus, et une fois connecté, je constatais rapidement que non seulement les journalistes s’étaient emparés du problème, mais également que ce dernier n’était pas cantonné à mon petit coin de désolation, ni même à mon petit pays. Il me fallut alors me rendre à l’évidence et réaliser que tous ces animaux ne migraient pas, mais qu’ils fuyaient, tout simplement. Les animaux fuyaient. Depuis le pôle Nord jusqu’au pôle Sud. Ceux du Nord fuyaient vers le Sud, et ceux du Sud fuyaient vers le Nord. Certaines hordes fuyaient, elles, à l’Est ou à l’Ouest. D’une façon qui semblait totalement anarchique, chaotique. Mon cœur se serra douloureusement à ces images, à cette idée.
Puis mon chien aussi m’abandonna, et ce fut, je crois, ce qui m’effraya le plus. J’étais à la retraite depuis un certain temps déjà, je ne pensais plus craindre grand-chose, mais ça, ce n’était vraiment pas un bon signe. Mon chien si dévoué ne prit même pas la peine de me dire au revoir. Après quelques jours d’agitation, il disparut, tout simplement. Je n’eus pas besoin de réfléchir beaucoup pour réaliser qu’il avait rejoint les autres.
Je regrettais un bref instant de ne pas être un animal moi-même, de ne pas être capable de partir sans un regard en arrière. Je me surpris même à hésiter, me demandant ce qui me retenait vraiment. Et puis l’habitude me fit rester chez moi, enfermé dans mon petit cocon pour un semblant de sécurité qui n’était – et je le savais – que très relatif.
Moi et les milliards d’habitants de la Terre nous attendions à ce que cette migration, cette fuite, cesse à un moment, une fois leur destination atteinte. Il me fallut du temps pour comprendre, et il en fallut encore plus aux médias et aux autorités pour avouer que malheureusement il n’en était rien. Ils ne se dirigeaient pas vers le Sud pour fuir le froid, ni vers leurs lieux de naissance y pondre leurs descendants, ni vers les hauteurs pour échapper à un quelconque tsunami.
Les animaux fuyaient, mais n’avaient nul endroit où aller, nul havre de paix à trouver, ils étaient seulement désespérés, en panique comme des poulets sans tête. La seule chose que je ne comprenais pas encore, c’était la raison de leur fuite. J’avais peur. Les animaux fuyaient comme suite à un déclic, et pour qu’ils fuient tous ainsi de manière aussi coordonnée que désespérée, c’était que la menace était imminente. Combien de temps nous restait-il ?
Les médias s’en donnaient à cœur joie, les complotistes également. Et les uns n’étaient pas plus crédibles que les autres, les solutions proposées pas aussi folles qu’il n’y paraissait, car mieux valait n’importe quelle explication que pas d’explication du tout. La Terre sur le point d’exploser ? Oui, pourquoi pas, c’était cohérent. Une attaque extra-terrestre ? Oui, c’était possible également. Virus ? Oui, cela semblait raisonnable. Chacun y allait de son grain de sel, de son explication abracadabrante.
Et moi ? Moi j’avais de nouveau éteint les infos, coupé mon téléphone. Je ne voulais plus rien savoir, plus rien entendre. Je voulais me mettre la tête dans le sable et m’en recouvrir les oreilles et les yeux. Je voulais oublier ce que j’avais vu, ce que j’avais entendu, et surtout, ce que j’avais compris.
Car oui, j’avais compris.
Les animaux avaient enfin assimilé les humains à une catastrophe naturelle et ils nous fuyaient. Ils nous fuyaient désespérément.
Mais nous étions partout.
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