Nouvelle écrite pour un appel à texte dont l'incipit était "Cela a commencé par une piqûre sur l'orteil" (j'ai modifié légèrement le début depuis). Il a passé la première sélection mais pas la seconde.

Cadavre à Ploucville


« Une piqûre à l’orteil ». Voilà l’unique information un tantinet utile qu’il avait actuellement en sa possession. Il roula des yeux en y repensant, légèrement exaspéré. Le télégramme avait été bref, laconique, et économique.
Bon, au moins ils avaient fait l’effort de le contacter immédiatement, c’était déjà ça. Les bleds de ce genre ne prenaient parfois même pas cette peine, ils enterraient et après ils se demandaient à qui avait pu servir le crime.
Entrant de façon circonspecte dans la somptueuse baraque du défunt, il sortit son calepin et se mit à gribouiller des conneries. Il n’avait jamais su quoi marquer dans ce carnet, mais ça donnait l’impression qu’il travaillait consciencieusement. En réalité, il n’avait pas besoin de ça pour bien bosser. Il observait, et gardait tout dans la tête. Ensuite, c’était juste une question de réussir à reconstituer le puzzle.
Dans le cas présent, cela ne devrait pas être trop dur, car il avait un témoin. Pas un témoin facile, mais c’était mieux que rien. Un gamin de quatre ans. Qui apparemment n’avait rien dit d’autre que :
— Papy il a dit que ça le piquait à l’orteil.
Oui bon. Il était mort maintenant son papy, et pour le moment impossible de savoir si quelqu’un d’autre était présent avec eux au moment du décès.
— C’est bien mon garçon, mais c’est vraiment important de me dire tout ce dont tu peux te souvenir. Que s’est il s’est passé après cette piqûre ? Et qui est-ce qui l’a piqué ?
Le petit bonhomme baissa la tête et arrêta de parler. Faut dire aussi, les deux gars locaux y avaient été un peu fort, puisqu’ils lui avaient lié les mains lorsqu’ils étaient arrivés sur les lieux. Il ne fallait pas s’étonner après qu’il n’ait plus trop envie de s’exprimer le malheureux.
Réfléchissons. Le vieil homme décédé était, avant son trépas, riche et peau de vache. Donc, logiquement, l’un de ses enfants l’avait sans doute zigouillé, mais lequel ? Le fils du vieux, père du gamin ? Ou la fille du vieux, qui passait tous les matins ?
— Il est où ton papa petit ? Tu peux au moins me dire ça ?
— Il est parti.
Chouette, il voulait bien lui parler.
— Parti où ?
— Je sais pas. Dehors ?
— Non, il n’est pas dehors mon garçon. C’est lui qui t’a déposé ici ?
— Non, c’est tata, ce matin.
Ah. Voilà qui changeait la donne ! Ce serait alors la fille qui aurait trucidé son géniteur ? Remarquez, une piqûre… Connaissant l’inclination des femmes envers les meurtres au poison, c’était tout à fait possible. Il la tenait, sa coupable.
— C’est tata qui a piqué papy ?
Le gosse le regarda de travers, et secoua la tête. Allons donc, quand il disait que le témoin n’allait pas être facile.
— Elle aimait bien ton papy ta tata ?
— Non. Personne l’aime papy. Mais en vrai moi je l’aime bien quand il bouge pas.
Enfin une information utile. La fille n’aimait pas son père. Assez pour le tuer ?
— Et il est mort comment ton papy ?
— Il est tombé.
— Et qui c’est qui l’a piqué au pied ?
— C’est papy qui a dit que ça piquait.
— Il n’y avait personne d’autre ?
— Y avait papy.
Soupirant, il laissa là le môme, retournant auprès du corps. Bon, c’était la fille, elle avait dû l’empoisonner avant de partir, mais il allait falloir qu’il trouve des preuves, parce que là, le petit ne l’aidait pas beaucoup.
— Hey les gars ! Cherchez-moi la fille du vieux, et arrêtez-la.
Le plus proche arrêta ses allers-retours inutiles sur la scène de crime et sortit brièvement pour faire passer le message à un badaud qui essayait de lorgner à travers la grille d’entrée. Ce dernier partit aussitôt en courant.
Regardant le corps étalé par terre, il se pencha sur lui et le palpa, en commençant par les pieds, qui étaient gonflés et froids, contrairement au reste du corps, encore tiède.
Il fronça les sourcils.
— Les gars ? Vous êtes là depuis combien de temps ? Qui vous a prévenu ?
— La voisine, qui avait entendu un truc casser. On est arrivé tout de suite, ça doit faire… 30 minutes maintenant ?
Son regard se posa sur les restes de la bombonne en verre et les friandises éparpillées par terre. Oui, c’est sûr, papy était plus gentil lorsqu’il ne pouvait plus interdire l’accès aux bonbons. Encore que, vu la position des éclats de verre, peut-être qu’ils avaient été brisés par le vieil homme lors de sa chute ? Et non pas par l’enfant après la mort de son grand-père, comme il l’avait supposé au premier abord…
Elle le perturbait cette enquête, il était arrivé très rapidement sur les lieux, et du coup, il n’avait même pas l’impression de toucher un macchabée… Il arrêta son examen, et regarda les deux ploucs du village traîner les pieds et toucher à tout dans la maison, semblant se demander ce qu’ils pourraient chourer sans que cela ne se voit trop.
Pris soudainement d’un doute, il posa deux doigts sur la carotide du vieux, et sentit une très légère pulsation.
Et merde…
— Les gars… Laissez tomber la fille et allez me chercher un putain de médecin !
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