Il était une fois un petit loup… heu… enfin, un « grand » loup. Enfin, je veux dire, un petit loup, mais qui était grand. Bref, vous me comprenez. Il s’appelait Filandroni et c’était le plus grand petit loup du monde. Je crois. Bon, en tout cas, il était très grand.
Il était tout mince aussi. Et ce qui était encore mieux, c’était que tout le monde l’aimait bien à l’école.
Alors, il ne faut pas croire, ce n’est pas facile d’être grand dans un monde de petits. Mais comme il ne disait rien, tout le monde pensait que ça allait. Ça n’allait pas vraiment en fait. Mais ça, personne ne le savait, personne ne le devinait. Même pas lui.
Il faut dire qu’il entendait tous les jours des commentaires dans le genre :
— Comment tu joues bien au ballon ! Mais c’est normal, aussi, avec ta taille.
— Trop facile pour toi de sauter haut, tu n’as même pas besoin de perche !
— T’as pas besoin de faire du karaté, tu nous marches dessus et on a perdu !
— T’es trop fort Filandroni !
— T’as de la chance d’être grand Filandroni !
Il n’arrivait pas bien à utiliser ni les ciseaux ni les stylos. Il ne pouvait pas respecter les règles dans la plupart des sports. Il se cognait souvent la tête sur les chambranles de portes. Il courait vite, mais il tombait souvent.
Il y a plein de choses qui n’allaient pas.
Mais ses copains ne le voyaient pas, et même lui, il ne le voyait pas. Et si on lui avait demandé :
— T’es content d’être grand Filandroni ?
Il aurait répondu : « Comment je pourrais ne pas être content ? »
Ce qui n’est pas du tout pareil que « Oui, je suis content ». Mais ça aussi, il ne le savait pas.
Et puis un jour, un tout petit loup tout petit riquiqui, qui s’appelait Picodon, lui dit : « Comment ça doit être trop galère d’être aussi grand que toi ! ».
Filandroni ne comprit pas et répondit : « ah bon, pourquoi ? »
— Bah tu ne peux pas utiliser correctement plein de choses pas prévues pour ta taille, donc tu dois travailler plus pour faire la même chose que les autres. Et en plus, comme tu te cognes et tu tombes souvent, tu as toujours mal quelque part !
— Oh, répondît simplement Filandroni, quelque peu surpris.
Il commença alors à prendre le temps de s’observer. Il remarqua ses blessures.
- Il clopinait : il s’était tordu la cheville en descendant d’un trottoir qu’il n’avait pas vu.
- Il avait une grosse bosse sur le front : ah là là, ces portes toutes petites !
- Des poils arrachés : oups, il s’était refermé une porte sur sa queue sans faire exprès (bon, d’accord, ça, ce n’était pas sûr que ce soit à cause de sa taille !).
- Deux doigts gonflés, et un autre enveloppé d’un mouchoir : Les ciseaux trop petits, et il s’était mis une écharde de stylo dans le doigt en le cassant - encore.
Il faut avouer qu’à bien y regarder il n’était pas en super top forme quand même. Et c’était tous les jours comme ça.
— Mais qu’est-ce que je peux faire Picodon ? Je ne peux pas rétrécir, alors, faut bien faire avec.
— Ouais, t’as raison. Mais, tu pourrais au moins demander que l’école t’achète des ciseaux à ta taille, que tu puisses couper aussi facilement que les autres. Et un gros stylo plus solide. Et-
— Oh ! l’interrompit Filandroni, mais je ne peux pas demander des choses rien que pour moi comme ça !
— Et pourquoi pas ? L’école est là pour t’apprendre des choses, surement pas pour t’apprendre que tu dois faire deux fois plus d’efforts que les autres pour le même résultat !
Et l’école, qui n’avait jamais pensé à tous ces problèmes qu’avait Filandroni à cause de sa taille, non seulement lui acheta des ciseaux géants et un stylo en béton, mais en plus, devinez quoi ? Elle réhaussa tous les chambranles des portes pour qu’il cesse de s’y cogner la tête !