Marche ou rêve
- Bon alors, tu marches ou tu rêves ?
Lorsque ma mère me disait ça enfant, je la regardais toujours d’un air étonné, m’interrogeant intérieurement sur le bien-fondé d’une telle demande. Rêver, c’est toujours le meilleur choix non ?
Puis en grandissant, j’ai compris. J’ai compris que dans la vie, si tu ne marches pas, si t’es déglinguée - même rien qu’un peu – faut que tu rêves. Faut que tu rêves pour supporter la réalité. Faut que tu rêves. Dans la vraie vie, si tu boites ou que t’es coite, si t’as pas de bras ou que t’es pas très droite, faut que tu rêves. Parce que si tu ne rêves pas, tu crèves. Dans la vraie vie, ce n’est pas « marche ou rêve », mais bien « marche ou crève ».
Alors pendant longtemps, j’ai tout fait pour avancer, pour marcher. Je refusais de laisser mes rêves l’emporter sur la réalité. Pensant naïvement que me forcer à marcher serait suffisant pour ne pas m’écrouler. Je me suis trompée.
Désormais je sais que ce n’est pas moi le problème. C’est la réalité le problème. Car ce n’est pas normal de survivre alors que tout ce qu’on veut, c’est vivre.
Alors maintenant, enfin, je m’autorise à rêver.
Quitte à en crever.
Le chemin était un cercle
Dans cette vie, tous les chemins doivent mener quelque part. On va de l’avant, le plus souvent. Ou parfois on recule pour mieux sauter. Dans tous les cas, sur ces chemins, si on n’avance pas, on nous pousse. Rester statique, ce n’est pas possible. Marche ou crève. Et lorsqu’on s’écroule, c’est alors pour de bon, et notre chemin s’arrête là.
Mais mon chemin à moi, il n’est pas comme ça. Ce chemin que j’ai tracé dans le plus grand des secrets, jamais tu ne le remarqueras, il n’est pas fait pour ça. Ce chemin, mon chemin secret, il n’a ni destination, ni objectif. Il paraît que je ne tourne pas rond, et bien mon chemin, lui, le fait. Il tourne en rond, actif même sans objectif. Mon chemin est un cercle, un cercle privé, et je m’y sens bien.
OUVREZ-MOI !
Au début, je n’ai pas compris. J’avais froid et faim, mais mes autres sensations, je n’arrivais pas à poser de mots dessus. Comme si j’avais du coton dans la tête.
Puis je compris que mes yeux étaient ouverts, mais qu’ils ne voyaient rien. Que mon corps était intact, mais qu’il ne pouvait plus bouger. Que ma bouche était ouverte, mais que je ne pouvais pas crier. Et enfin, je compris que le bruit que j’entendais n’était pas celui de ma respiration, mais celui de la machine qui m’aidait à respirer.
Ce fut lorsque j’entendis les larmes de mes parents annonçant au médecin que jamais ils ne me débrancheraient du respirateur, que je regrettais que mes oreilles, elles, puissent toujours entendre.
Car ce que je n’avais pas compris au début, je le comprenais maintenant. Mon corps était mort, mais mon âme était restée coincée à l’intérieur.
Abandonnez-moi, s’il vous plaît.
Débranchez-moi.
Tuez-moi.
OUVREZ-MOI !
Un froid noir
J’ai beau tenter d’expliquer, ils ne comprennent pas, ils ne comprennent jamais. Aussi bien les médecins que mon conjoint. Aussi bien les valides que les malades chroniques. Lorsque je mets des mots sur ce que je vis, je vois dans leurs regards pitié, compassion, mais surtout beaucoup d’incrédulité. C’est douloureux. Et cela ne fait qu’amplifier le froid.
Car oui, mon problème, c’est que j’ai froid. Très froid. Toujours froid. Que l’été soit caniculaire ou pas. Que les couettes s’accumulent sur moi ou non. Car le froid que je ressens est intérieur. J’ai en moi un froid noir comme un puits sans fond. Noir comme du charbon éteint depuis la nuit des temps. C’est ce froid noir qui me glace de l’intérieur.
Je suis éteinte. Comme un corps sans âme pour le réchauffer.